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Après avoir épluché - effeuillé ? - une pomme de terre (Première partie), notre libraire s'apprêtait la semaine dernière à nous raconter sa demi-journée à la campagne. Il semblerait que ça ne se soit pas passé si bien que ça ! Voici pourquoi...

 

(Rappel : les textes en italique correspondent  aux parties écrites pour l'adaptation à la scène et la création du personnage)

 

 

L'air acide et le vent corrosif, les émanations oxaliques et les injections formiques, les dards fichés d'abeilles ou d'orties, les révulsions cutanées sur le corps exposé au soleil : en une demi-journée à la campagne, on a subi un drôle de traitement.

Sans compter l'absorption d'eau sombre de puits, de fruits chargés de leur duvet oxygéné ou carbonique, les incisions de ronces et les inhalations de parfums bruts qui vont du moisi de la cave au séché du grenier en passant par le purin de la cour de ferme...

 

Ca, c'est la première façon de voir les choses. La deuxième, que je préfère bien sûr, c'est celle-ci :

 

Dans un profond silence, les mottes de labour, les touffes d'herbe trempées de pluie qui m'entourent se comportent en exhale-parfums.

Quelle majesté dans ce gros cheval portant son homme sur le chemin, dans ce long et calme roulement du tonnerre, dans cette pluie insistante qui grave le sol !

La fraîcheur, la vapeur d'eau, ces parfums imprègnent notre corps : l'amollissent, le détendent ; ces nobles démarches autour de lui le massent, le fortifient. Soins de beauté, soins de santé : quels émollients, quels toniques, quelle salubrité !

Toute fatigue se dissipera bientôt, et quand nous aurons été une fois aux feuillées nous délester d'un gros tas de merde, - malgré nos pieds un peu froids dans nos souliers vernis par la rosée, nos muscles un peu gourds, mais la peau, les poumons, le foie et le cerveau nettoyés, - nos fonctions joueront de plus belle : l'homme de quarante ans se sentira réveillé.

 

Vaseux comme il était, il ne pouvait goûter ce beau ciel lavé, ni cette fraîcheur qui maintenant filtre à travers son corps et le laisse transi et traversé d'azur et justifié d'être au monde puisque toute la nature l'imprègne sans l'amoindrir, le tolère, le traite familièrement : sans précaution mais sans dommage. Le bleu renaît du gris,...

 

Comme la pulpe éjectée d'un raisin noir.

Vous ne trouvez pas qu'il y a quelque chose d'attendrissant dans cette liaison entre deux états d'humeur différente. Quelque chose de désarmant dans cet épanchement terminé.

 

Chaque flaque est alors comme une aile de papillon placée sous vitre,

Mais il suffit d'une roue de passage pour en faire jaillir la boue. D'un mensonge, peut-être... ma fenêtre d'où je vois la crosse d'une route, à gauche, et en face un horizon haut et court, décoré pour le premier plan par un arbre à cerises...

 

Je vous ai menti ; ce que je vois c'est la gare. La gare, avec ses moustaches de chat.

 

(Plusieurs voix off : Un quartier phlegmoneux, sorte de plexus ou de nodosité tubéreuse, de ganglion pulsatile, d'oignon lacrymogène.

Gonflé de rires et de larmes, sali de fumées.)

 

Un quartier matineux, où l'on ne se couche pas, où l'on passe les nuits. Un quartier quelque peu infernal où l'on salit son linge et mouille ses mouchoirs.

Où chacun ne se rend qu'en des occasions précises, qui engagent tout l'homme, et même le plus souvent l'homme avec sa famille, ses hardes, ses bêtes, ses lares et tout son saint-frusquin.

Où les charrois de marchandises ailleurs plutôt cachés sont incessants, sur des pavés mal entretenus.

Où les hommes ne sont qu'à peine différenciés et mieux traités que les ballots, bagages et caisses de toutes sortes.

Comme le nœud d'une ganse où se nouent et dénouent, d'où partent et aboutissent des voies bizarres, à la fois raides et souples, et luisantes.

Un lieu d'efforts maladroits et malheureux, où rien ne s'accomplit sans grosses difficultés de démarrage, manœuvre et parcours ; où se préparent, se maillotent, se démaillotent, se mouchent et se torchent dans la crasse de chiffons graisseux les falots, les fanaux suintants, les lumignons, les clignotantes, les merveilleuses étoiles multicolores – et jusqu'au bureau du chef de gare, cet irritable gamin.

Parfois, le matin, je vous avouerai que je n'ai pas le courage d'aller à la librairie.


 

Qu'est-ce qui va bien sauver notre pauvre libraire en proie aux affres de sa vie urbaine ? A suivre en Troisième partie ...

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